“Peuple sauvage 4”, Rurart, Rouillé, Printemps / Été 2024

Si Julien Salaud avait un chemin d’études tout tracé vers l’ethnologie, c’est bien sous la forêt humide de sa Guyane familiale qu’il devient artiste.

Jeune adulte, il rejoint ses parents dans ce territoire luxuriant qui le soustrait à ses études prometteuses. Durant trois années, le jour, il recense par le dessin à l’aquarelle la faune perchée. Parmi les 1 200 espèces d’arbres – ébène verte, palmiers, fromagers, ficus, bois-canon –, il se fraye un chemin. Son regard s’aiguise au contact des toucans ariel, Ramphastos vitellinus, coqs-de-roche, Rupicola rupicola, anhingas d’Amérique, Anhinga anhinga, tangaras évêques, Thraupis episcopus, ibis rouges, Eudocimus ruber, hérons cocoi, Ardea cocoi. Julien Salaud sort aussi à la tombée du jour. À l’ombre des connaissances éclairées de son père, il récolte cette faune qui prolifère à bas bruit, la nuit. Prélever n’est pas chasser. On prend pour apprendre ces espèces fabuleuses, aux thorax chamarrés, aux mandibules acérées, aux antennes gigantesques. Julien Salaud, de jour comme de nuit, regarde, écoute, comprend le vivant. Petit à petit, il esquisse ses premiers pas en tant que dessinateur, forge son engagement et devient artiste.

Exposition après exposition, il développe une esthétique singulière et la Métropole l’accueille à bras ouverts – les insectes récoltés se parent pour leurs plus belles nuits. La Métropole l’accueille à bras ouverts, les insectes récoltés se parent pour leurs plus belles nuits. Nuit et jour, il brode, crayonne, collectionne. Il assemble, donne sens. Salon de Montrouge, Musée de la Chasse, Centre d’art contemporain la Chapelle des Calvairiennes, Palais de Tokyo, Centre des monuments nationaux, Julien Salaud s’affirme. Il tisse son propos et immerge son public dans ses enchantements. 

Ses œuvres sont bavardes, elles convoquent les plus belles matières faites de peaux, de faux diamants, d’ivoire factice ; Julien Salaud singe. Il chamarre ses bêtes tel un chaman, attire l’œil avec ses perles et ses plumes ou dans ses grottes tissées de fil blanc. Le récit se construit à la lumière noire, tel un sorcier qui agit. 

Des forêts du château de Chambord aux caves de l’Abbaye Royale de Fontevraud,  la noblesse de son style s’affine. À 47 ans, l’exposition présentée à Rurart permet de lire son travail dans une rare diversité qui souligne la constance de ses propos.

Vue de l’exposition Peuple sauvage IV, de gauche à droite : Pipistrelle commune à plumes, 42 x 29,7 cm, 2022 / Grand duc, première version, 110 x 70 cm, 2024 / Alouette lulu à plumes, 29,7 x 42 cm, 2022, gouache sur papiers, 2023

Les figures plumées sont une autre grande famille dans le travail de l’artiste. Si les plumes apparaissent dès ses premières aquarelles en Guyane, elles deviennent entêtantes à son retour du Mexique en 2020. Figure hybride, le Quetzalcoatl est associé à la terre nourricière. Cette dualité avec le ciel par les plumes et la terre par le serpent évoque une synthèse du monde : la terre et le ciel qui ne font qu’un.

De gauche à droite et de haut en bas : Rouge-gorge royal, 50 x 50 cm / Rouge-gorge du Paradis, 50 x 50 cm / Vulpa à plumes, 26 x 35 cm / Vulpa face aux montres de fer, 26 x 35 cm, gouache sur digigraphies, 2024

Julien Salaud, par le dessin qu’il affectionne, illustre des sentiments ou expressions que nous attribuons au vivant. Rouge-gorge du Paradis, orné de plumes dorées comme celles des paradisiers apodes ; rouge-gorge royal, portant une couronne telle la moucherolle royale, en sont quelques exemples. Il s’agit bien ici d’une continuité par le dessin de ses premières sculptures d’insectes, où le ramage comme le plumage sont au centre de son engagement. La dualité comme étendard des existences, des rites et des réalités de nos vies, est exposée ici à Rurart.

Ci-dessus, trois angles de vue pour Bubo Homo Bubo Sapiens, structure bois, vis, fil de coton, lumière noire, 2,50 x 1,20 x 1,22 m, 2024. Cette sculpture représente à elle seule une synthèse esthétique du travail de l’artiste. On y retrouve l’homme, l’animal (le grand-duc) et leurs squelettes. Les multiples points de vue sont signe de l’hybridité ; les fils sont noués. Sous la lumière noire, les figures dansent à l’envi, attrapant ainsi les esprits tels les chamans épris de leurs récits.

L’installation est abritée par une yourte décorée des deux Peaux de vaches Mundi (ci-dessous)

Yourte avec Peau de vache Mundi (continents crèmes, océans noirs), 2,10 x 2,35 m à gauche / (continents noirs, océans crêmes), 1,85 x 2,25 m à droite, peaux de vaches, colle, feutrine, 2023. Avec ce titre, l’artiste fait référence à une expression péjorative bien connue. Julien Salaud cartographie les masses animales sans édulcorer ni le propos ni la réalité. En 2018, les humains et leur bétail représentaient 96 % de la biomasse des mammifères. Les 4 % restants, sauvages, subissent nos hostilités. L’espèce humaine a abandonné ses oripeaux pour devenir une espèce de peau de vache.

Vue de l’exposition : Printemps (cerfaure), 2014, devant Homo Bubo (blanc sur noir), 2024 (à droite) et Bubo sapiens (noir sur blanc), 2024 (à gauche)

Printemps (cerfaure) : cette figure hybride recouverte de milliers de perles est un cerfaure. Sur son rocher de peaux, il tient un cor de chasse et va sonner l’hallali. Cri de victoire des chasseurs, cette pièce emblématique dans le travail de l’artiste, tant sur le point de vue esthétique que dans le propos, nous fait face. Sous cette beauté ainsi orchestrée, Julien Salaud interroge les fondements de nos questions écologiques : comment peut-on être à la fois le prédateur et la proie ?

Homo Bubo (blanc sur noir) et Bubo sapiens (noir sur blanc) : bien avant que les troupeaux d’aurochs ornent les grottes, c’est la figure du Grand-duc d’Europe qui jalonne les croyances. Puissance tutélaire par son port de tête, noble et droit, il incarne la vigie. Vigilance depuis la nuit des temps, il garde un œil silencieux sur nos vies, de jour comme de nuit.

Textes de Mathias Courtet, commissaire d’exposition et critique d’art

Merci à l’équipe de choc de Rurart : Sylvie Deligeon, Victor Bonnarme et Xavier De Commines !

Pour en savoir plus :

Rurart / Rurart présente pour son exposition de printemps, Julien Salaud, artiste de renommée internationale avec une sélection d’œuvres récemment réalisées et une création monumentale créée in-situ.

https://www.rurart.org/exposition-peuple-sauvage-iv-julien-salaud/
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