“Animal textile”, TAMAT, Tournai, Belgique, Printemps / Automne 2023

La place de l’animal dans l’art est prépondérante, protéiforme, plastique tout autant que fluide ; ces vivants pourtant n’ont pas toujours été distingués par les spécialistes qui leur ont souvent préféré l’analyse des hommes et femmes dressés au premier plan des œuvres. Malgré cela, certains étaient déjà les sujets principaux comme l’attestent les animaux représentés sur les murs des grottes pariétales, la tapisserie de La Dame à la licorne commandée par Antoine de Viste (1484-1538) ou encore les portraits animaliers de Dürer au XVIème siècle. D’autres, pour une grande partie d’entre eux, se logeaient dans les marges, au pied ou sur les genoux des maîtres et maîtresses, parmi les ornements floraux, s’égayant dans les paysages. Ces bêtes traversent les hiérarchies de genres en faisant irruption aussi bien dans les natures mortes que dans les tableaux d’histoire, dans le monde artisanal comme dans celui de l’art. Elles franchissent pareillement les mediums en s’imprimant sur les éléments mobiliers voire en en inspirant les formes, en prenant volume par la sculpture ou l’installation, en jaillissant de la planéité de la peinture, de la photographie, du papier-peint ou bien en s’incarnant grâce aux travaux d’aiguilles. Faire une liste exhaustive serait évidemment vain tant les images animalières peuplent les arts depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui.

Pourquoi l’animal semble donc de nos jours faire irruption sur la scène artistique ? Un simple travail de mé- moire, comme ébauché rapidement ci-dessus, prouve par l’exemple qu’il n’a en rien et jamais disparu des imaginaires esthétiques. Force est de constater alors que les Animal Studies (études animales) théorisées et enseignées d’abord dans les pays anglo-saxons à partir des années 1970 ont été efficientes en poussant les chercheurs et chercheuses à venir relire, entre autres, l’histoire de l’art par ce prisme permettant de rendre saillant cette arche de Noé atemporelle. Elles ont aussi autorisé celles et ceux qui avaient déjà débusqué l’animal à venir renforcer leurs hypothèses, mettre en mots leurs idées, se libérer du poids des convenances professorales et, pour les artistes, à se déployer sans gène dans ce reflet animalier de la société. Si l’on décentre alors le regard, comme nous le propose cette exposition, la faune réelle ou fantastique s’accorde pour tisser un lien solide et généreux entre les périodes médiévale et contemporaine. Des tapisseries tournai-siennes des XVe et XVIe siècles aux œuvres des artistes, anciens résidents de TAMAT ou invités, en passant par le groupe des peintres-cartonniers Forces Murales, le corpus présenté oblige le spectateur à se rendre compte de la variation des formes animales mais aussi de leurs présences indéfectibles. Il ne sera alors plus possible de les ignorer.

Enfin, cet évènement est l’occasion de rappeler l’attache entre l’art textile et l’animal puisque ce dernier n’est pas uniquement une image, il peut-être aussi matière première des œuvres : colorants organiques, ornements à tisser. La faune – comme la flore d’ailleurs – est alors indissociable d’une pratique du « faire », des matériaux à part, déjà agissants, porteurs de mythes et de légendes autant que d’un ancrage environnemental. « Je voudrais […] penser le faire comme un processus de croissance. Cela place dès le départ celui qui fait comme quelqu’un qui agit dans un monde de matières actives. Ces matières sont ce avec quoi il doit travail- ler et le processus de fabrication consiste à « unir ses forces » aux leurs, les rassemblant ou les divisant, les synthétisant ou les distillant, en cherchant à anticiper sur ce qui pourrait émerger » avance l’anthropologue Tim Ingold.

Ces poils, fils, plumes, peaux, perles et précieux artéfacts organiques portent déjà en eux leur propre langage. Alors, admirer les représentations de figures animales rendues possibles grâce aux arts textiles, c’est déjà faire travail d’archéologue, c’est mettre à jour les systèmes de collaboration entre les vivants et leurs « faires ».

Comme une rêverie, TAMAT propose ici un espace augmenté de présences, égrainé des poèmes du parnassien José-Maria de Heredia, un entrelacement des forces, des potentiels et histoires que charrient ces vivants. Tel un cadavre-exquis, une forme en appelle une autre, rétrécissant les écarts entre les mondes aquatique et aérien, entre le désir de réalisme et la fantasmagorie pour finalement offrir la possibilité de nouveaux cosmogrammes.

Texte de Marion Duquerroy, Historienne de l’art et Maitresse de conférences à l’UCO-Angers

Avec ANDRIN Caroline – CHAMARET Lydie – COENRAETS Florence – COLLIN André – CRUNELLE José – DELTOUR Louis – DIZIER Christine – DUBRUNFAUT Edmond – FORCES MURALES – FORTUNÉ Maïder – FRANCKEN Frans – FRANÇOIS Michel – GOBE Jérémy – GOSSYE Dolores – KRAKOWSKI Julie – PAPARELLA Juan – PROGIN Jérôme – RANSY Jean – SALAUD Julien – VAN KESSEL Jean – VANMECHELEN Koen – VAUBOURG Valérie – WYSOCKI Elodie

Bergère des chevrettes 2, bandes plâtrées, mousse expansée, perles de rocailles, fourrures de chevreuils, chanvre, coton, bois, crâne de chevreuil, colle, 175 x 85 x 60 cm, 2016, vue de l’exposition, photographies Wiktoria Sinak, 2023

Ethnologue de formation, soucieux de la survie des espèces végétales et animales, la démarche artistique de Julien Salaud est étroitement liée à son rapport à la nature et à l’écologie, aux techniques artisanales et traditionnelles des populations extra-européennes notamment suite à ses séjours en Amazonie. Il conçoit des créatures imaginaires en un bestiaire fantastique qui renvoie à la définition même du règne animal.

Pour la Bergère des chevrettes, l’artiste a moulé un corps féminin avant de le parer de perles de rocaille, de fourrures, de cordes de chanvre et d’attributs animaliers : des oreilles de chevreuil. Ce travail des perles et du chanvre est inspiré de techniques ornementales des Amérindiens de Guyane. Il a aussi doté son personnage mi-femme/mi-animal d’un sceptre, constitué d’une branche de noisetier et d’un crâne de chevrette. Cette œuvre pour l’artiste « renvoie symboliquement aux pratiques pastorales des temps anciens durant lesquels les pasteurs nomades suivaient leurs troupeaux tout en en prenant soin ». Elle est aussi représentative de la pratique et de l’univers de Julien Salaud qui, à partir d’un modèle (taxidermie, moulage), grâce aux parements issus de techniques ancestrales et à l’ajout d’éléments, vient créer de nouveaux êtres hybrides.

Le chant nocturne de la grive musicienne, grive musicienne empaillée, plume d’autruche et strass 40 x 15 x 23 cm, vue de l’exposition, 2022, photographies Wiktoria Sinak, 2023

Le chant nocturne de la grive musicienne a été réalisée pour la récente exposition Musicanimale à la Philharmonie de Paris. Au sein du parcours, elle s’intégrait dans l’espace consacré aux oiseaux dont le chant mélodieux résonne durant les nuits de printemps ou d’été. La grive musicienne est un des oiseaux les plus identifiables par la répétition successive de son chant de notes variées, sifflées ou flûtées, de tonalité distincte. Fidèle à sa pratique de transformation et d’hybridation en vue de la création d’un bestiaire imaginaire, l’artiste y associe une plume d’autruche et des strass dont le cristal accentue les reflets mouchetés du volatile.

Merci à Aurélie Champion pour l’invitation !

Pour en savoir plus :

TAMAT / La place de l’animal dans l’art est prépondérante. L’exposition Animal Textile invite à décentrer le regard autour de l’animal et de sa représentation. Des animaux fantastiques à ceux de notre quotidien, des tapisseries anciennes et modernes aux pièces contemporaines, elle propose de tisser des liens visuels et plastiques entre des œuvres que tout semble éloigner.

https://tamat.be/agenda/animal-textile/

TAMAT / Animal Textile, guide du visiteur

https://tamat.be/wp-content/uploads/2023/06/Animal-GDV-FR-OK.pdf

FLUX News / Bestiaire pour zoo fictionnel

https://fluxnews.be/bestiaire-pour-zoo-fictionnel/

La Voix du Nord / « Animal Textile », une exposition à poils et à plumes à TAMAT, à Tournai

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